Société
Métro, porno, bobo... à quand le véto ?
Ils sont français, jouent dans le top 14, et en mettent plein les yeux. Deux sites pornographiques figurent parmi les 14 sites internet les plus consultés sur Terre, cumulant à eux deux « près de 5,8 milliards de visites, rien qu’au mois de novembre » dernier, selon Leptdigital. L'un d'eux « compte carrément plus de visiteurs qu’Amazon, WhatsApp ou Netflix », ajoute l’infolettre.
Le marché n’est pas près de se tarir : rien qu’en Île-de-France, les jeunes exposés à ces images le sont désormais dès l'âge moyen de 10 ans (contre 14 ans en 2017), selon une étude de l’institut OpinionWay commandée par la région. On y révèle que sur 250 mineurs âgés de 15 à 17 ans, « 27% consomment régulièrement de la pornographie » et que « 46% [en] ont déjà consulté ». L’étude pointe « la généralisation du smartphone (…) et la sous-utilisation du contrôle parental par les adultes ». La campagne « Le porno #c'estpaslaRef » suffira-t-elle à sensibiliser la société, parents comme enfants ? En tout cas, la présidente francilienne Valérie Pécresse (LR) se félicite d’être la première collectivité à s’emparer de la question.
L’initiative fait écho à celle de quatre sénatrices de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS). Leur rapport intitulé « Porno : l'enfer du décor » survient alors que plusieurs enquêtes judiciaires ébranlent depuis deux ans le milieu dit « amateur » : violence, barbarie, proxénétisme, traite d’êtres humains : les maux fusent contre des acteurs, des réalisateurs, des producteurs. Un bon nombre d'entre eux est incarcéré. Depuis l’apparition des « tubes », au milieu des années 2000, la massification croissante entraîne « la recrudescence de contenus de plus en plus trash et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles [ceux-ci] sont produits », écrivent les sénatrices.
Deux points distinguent ce rapport : le premier, c’est qu’il est vain de vouloir encadrer cette industrie : ce n’est pas avec des contrats et des chartes que le porno deviendra respectueux de la personne, disent en substance les parlementaires. Comme pour la drogue, il n’y a pas de porno doux et dur : les deux sont nocifs, le premier, de surcroît ultra-marginal, menant au second, hardcore.
Ce que veut la Haute-Assemblée, c’est, à l’image de la lutte antisecte, criminaliser un business en « faisant de la lutte contre (…) la marchandisation du corps une priorité de politique publique ». Marchandisation ? Cet élément de langage n’est pas neutre : il rapproche la pornographie d’autres sujets comme les mères porteuses. Après tout, ne s’agit-il pas de tirer profit d’un ventre ?
Cet aspect économique apparaît comme le point de jonction entre une certaine gauche féministe et les rangs conservateurs. Pendant des décennies, ceux-ci critiquèrent cette industrie au nom de valeurs religieuses ou morales. La droite « cul bénit » occupant l’espace, la gauche boudait le sujet. Aujourd’hui, le discours anti-porno sort de la sacristie, ce qui pourrait libérer la parole des femmes sur d’autres tabous douloureux comme l’IVG.
Pour l’heure, si des féministes bougent, c’est parce que le porno, « avec ses employés jetables et sa brutalité, est devenu un pur produit du capitalisme », dit à l’AFP la journaliste Maïa Mazaurette. Nul ne condamne ces images pour ce qu’elles sont, ni ne veut les prohiber en tant que telles. Le Sénat lui-même s’en prend seulement aux « dérives » de cette « industrie » et les féministes s’affligent des « conditions de travail ».
Néanmoins, on peut parler de révolution copernicienne. Car on revient de loin. Si certaines militantes « historiques » critiquaient déjà le porno dans les années 1980, « il fallait être "sex-positive" et soutenir la pornographie » pour être bien vue dans certains milieux féministes, rappelle Maïa Mazaurette.
Les temps changent mais l’exécutif s'attaquera-t-il à ce chantier ? Pas sûr ou alors à la marge, au moins pour trois raisons :
La première, c'est qu'à l'époque du « quand je veux, si je veux », quel homme politique voudra risquer de passer pour réac' ? Difficile d'agir sur ce terrain sans se référer tôt ou tard à un ordre moral, ni sans se heurter à un activisme associatif dont les thématiques diversitaires se retrouvent dans le langage des sites porno et nourrissent la profusion de l'offre de ce marché.
La deuxième relève de l'ordre public : le porno est une arme de distraction massive, canalisant les passions dans le seul espace privé. La remiser n'est pas évident. Imaginez qu'on ferme les stades.
Et puis, plus globalement, le porno n'est pas une activité à part. C'est un phénomène miroir excité et entretenu par toutes les injonctions à s'exposer dans les media, à faire de soi une image, vénale qui plus est. Dans sa banalité, cette industrie ne veut pas autre chose que jouir sans entrave, toujours plus, quoi qu'il en coûte. Comment s'attaquer à ce virus sans revoir tout le logiciel ?
Car dans les égouts de nos écrans, le porno célèbre les noces libérales-libertaires. À corps et à cris.
Le marché n’est pas près de se tarir : rien qu’en Île-de-France, les jeunes exposés à ces images le sont désormais dès l'âge moyen de 10 ans (contre 14 ans en 2017), selon une étude de l’institut OpinionWay commandée par la région. On y révèle que sur 250 mineurs âgés de 15 à 17 ans, « 27% consomment régulièrement de la pornographie » et que « 46% [en] ont déjà consulté ». L’étude pointe « la généralisation du smartphone (…) et la sous-utilisation du contrôle parental par les adultes ». La campagne « Le porno #c'estpaslaRef » suffira-t-elle à sensibiliser la société, parents comme enfants ? En tout cas, la présidente francilienne Valérie Pécresse (LR) se félicite d’être la première collectivité à s’emparer de la question.
L’initiative fait écho à celle de quatre sénatrices de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS). Leur rapport intitulé « Porno : l'enfer du décor » survient alors que plusieurs enquêtes judiciaires ébranlent depuis deux ans le milieu dit « amateur » : violence, barbarie, proxénétisme, traite d’êtres humains : les maux fusent contre des acteurs, des réalisateurs, des producteurs. Un bon nombre d'entre eux est incarcéré. Depuis l’apparition des « tubes », au milieu des années 2000, la massification croissante entraîne « la recrudescence de contenus de plus en plus trash et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles [ceux-ci] sont produits », écrivent les sénatrices.
Deux points distinguent ce rapport : le premier, c’est qu’il est vain de vouloir encadrer cette industrie : ce n’est pas avec des contrats et des chartes que le porno deviendra respectueux de la personne, disent en substance les parlementaires. Comme pour la drogue, il n’y a pas de porno doux et dur : les deux sont nocifs, le premier, de surcroît ultra-marginal, menant au second, hardcore.
Ce que veut la Haute-Assemblée, c’est, à l’image de la lutte antisecte, criminaliser un business en « faisant de la lutte contre (…) la marchandisation du corps une priorité de politique publique ». Marchandisation ? Cet élément de langage n’est pas neutre : il rapproche la pornographie d’autres sujets comme les mères porteuses. Après tout, ne s’agit-il pas de tirer profit d’un ventre ?
Cet aspect économique apparaît comme le point de jonction entre une certaine gauche féministe et les rangs conservateurs. Pendant des décennies, ceux-ci critiquèrent cette industrie au nom de valeurs religieuses ou morales. La droite « cul bénit » occupant l’espace, la gauche boudait le sujet. Aujourd’hui, le discours anti-porno sort de la sacristie, ce qui pourrait libérer la parole des femmes sur d’autres tabous douloureux comme l’IVG.
Pour l’heure, si des féministes bougent, c’est parce que le porno, « avec ses employés jetables et sa brutalité, est devenu un pur produit du capitalisme », dit à l’AFP la journaliste Maïa Mazaurette. Nul ne condamne ces images pour ce qu’elles sont, ni ne veut les prohiber en tant que telles. Le Sénat lui-même s’en prend seulement aux « dérives » de cette « industrie » et les féministes s’affligent des « conditions de travail ».
Néanmoins, on peut parler de révolution copernicienne. Car on revient de loin. Si certaines militantes « historiques » critiquaient déjà le porno dans les années 1980, « il fallait être "sex-positive" et soutenir la pornographie » pour être bien vue dans certains milieux féministes, rappelle Maïa Mazaurette.
Les temps changent mais l’exécutif s'attaquera-t-il à ce chantier ? Pas sûr ou alors à la marge, au moins pour trois raisons :
La première, c'est qu'à l'époque du « quand je veux, si je veux », quel homme politique voudra risquer de passer pour réac' ? Difficile d'agir sur ce terrain sans se référer tôt ou tard à un ordre moral, ni sans se heurter à un activisme associatif dont les thématiques diversitaires se retrouvent dans le langage des sites porno et nourrissent la profusion de l'offre de ce marché.
La deuxième relève de l'ordre public : le porno est une arme de distraction massive, canalisant les passions dans le seul espace privé. La remiser n'est pas évident. Imaginez qu'on ferme les stades.
Et puis, plus globalement, le porno n'est pas une activité à part. C'est un phénomène miroir excité et entretenu par toutes les injonctions à s'exposer dans les media, à faire de soi une image, vénale qui plus est. Dans sa banalité, cette industrie ne veut pas autre chose que jouir sans entrave, toujours plus, quoi qu'il en coûte. Comment s'attaquer à ce virus sans revoir tout le logiciel ?
Car dans les égouts de nos écrans, le porno célèbre les noces libérales-libertaires. À corps et à cris.
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