International
Les illusions occidentales et les bruits de bottes russes
La situation se tend à la frontière entre la Russie et l’Ukraine. Les Russes y ont massé des troupes blindées et ont placé des avions de chasse sur des bases biélorusses proches de l’Ukraine occidentale. L’OTAN a envoyé des munitions et des missiles antichars aux forces ukrainiennes. Les rumeurs parlent d’une action éclair pour imposer un nouveau dirigeant à Kiev qui serait à la main de Moscou. Les négociations n’avancent pas alors que la Russie formule une exigence : l’Ukraine ne doit jamais rejoindre l’OTAN. Les États-Unis, soutenus par l’UE, menacent le Kremlin de fortes sanctions économiques. Peu de chances que cela fasse reculer les Russes, prévient Stephen Walt, professeur en relations internationales à Harvard, pour la revue Foreign Policy (voir son article en lien).
Il s’agit du dernier acte d’une tragédie, après la Crimée et le Donbass, qui aurait pu être évitée sans l’aveuglement idéologique des Occidentaux. Leur idéalisme, datant de la chute de l’URSS, a tourné le dos à la dure réalité des relations internationales. Les libéraux aux manettes considèrent que la conduite d’un État est directement liée à sa nature politique. Il y a les « gentils », ces pays qui épousent les préceptes libéraux, et les « méchants », c’est-à-dire tous les autres… La guerre ne peut résulter que de l’action d’un autocrate agressif. La solution, pour promouvoir la paix dans le monde, est donc de chercher à renverser les dictateurs, imposer le pluripartisme démocratique, et libéraliser les échanges commerciaux. Les démocraties, sous l’égide du droit international, et liées entre elles par des accords de libre-échange, allaient répandre leur modèle bienfaisant partout et ce serait… « La fin de l’Histoire ». Sous l’égide américaine, les nations du monde allaient copier le modèle libéral et ne chercheraient plus qu’à s’enrichir pour le plus grand bonheur des individus libérés de l’oppression.
Quelques réalistes avaient prévenu : chercher à étendre l’OTAN finirait par irriter la Russie. Mais les idéalistes ont prévalu, arguant que la création d’une vaste « zone pacifique » à l’Est de l’Europe ne ferait qu’accélérer la transition démocratique dans les pays de la région. Il leur paraissait évident que la Russie ruinée et affaiblie ne ferait pas obstacle à cette stratégie pétrie de bonnes intentions. Elle n'a pas réagi quand la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque ont rejoint l’OTAN. Pourtant, le Secrétaire d’État James Baker avait lui-même assuré à Gorbatchev en 1990 que s’il laissait l’Allemagne réunifiée rejoindre l’OTAN, ce serait la frontière orientale de l’alliance… Les doutes russes se sont accumulés quand les Américains ont envahi l’Irak en 2003, et contribué à éliminer Kadhafi en 2011 en s’arrangeant avec le droit international. Voilà pourquoi Poutine réclame aujourd’hui des garanties écrites sur l’Ukraine.
Les Américains ont la mémoire courte : la « doctrine Monroe » de 1823 qui plaçait tout le continent américain sous leur suzeraineté n’a jamais été abandonnée. L’administration Reagan n’a pas hésité à organiser la rébellion des « Contras » dans le petit Nicaragua pour renverser le pouvoir sandiniste. 20 ans auparavant, l’épisode des « missiles de Cuba » a montré que Kennedy était prêt à déclencher une guerre mondiale… Au XIXème siècle, les Américains ont soutenu les rebelles mexicains contre la présence française. Comment s’étonner alors que les Russes voient comme une menace le prosélytisme occidental en Ukraine ? Le sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008 a alarmé les Russes. Sous la pression de l’administration Bush, une déclaration indiquait que la Géorgie et l’Ukraine seraient « dans le futur » invitées à rejoindre l’alliance. Les violentes manifestations de 2014 contre le président pro-russe Ianoukovitch en Ukraine ont conduit à son exil et son remplacement par un pro-Occidental. Là encore, le Kremlin a vu rouge dénonçant l’implication de la CIA…
Poutine n’est pas exempt de responsabilités : le chantage est rarement payant dans une négociation. Un autocrate qui utilise la corruption chez lui comme à l’étranger, voire qui envoie des tueurs à la poursuite d’opposants dans les pays membres de l’OTAN, incite à la méfiance. La Russie a piétiné le Mémorandum de Budapest de 1994 qui donnait des assurances à l’Ukraine contre le retour de l’arsenal nucléaire hérité de l’URSS. L’invasion de la Crimée a braqué les opinions ukrainienne et européenne contre Moscou. Historiquement enfin, les pays d’Europe de l’Est ont des raisons légitimes de s’inquiéter de « l’ours russe ».
Il n’y a qu’une manière de sortir de cette crise, prévient Stephen Walt : accepter un compromis. Mais les propositions américaines n’incluent pas le point capital pour les Russes : la promesse que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN. La solution dépend de Kiev qui devrait affirmer sa neutralité. L’OTAN n’aurait pas l’air de céder à un chantage tout en obtenant des garanties sur l’indépendance de l’Ukraine. Une sortie de « finlandisation » de ce pays à la marche entre ouest et est…
Il s’agit du dernier acte d’une tragédie, après la Crimée et le Donbass, qui aurait pu être évitée sans l’aveuglement idéologique des Occidentaux. Leur idéalisme, datant de la chute de l’URSS, a tourné le dos à la dure réalité des relations internationales. Les libéraux aux manettes considèrent que la conduite d’un État est directement liée à sa nature politique. Il y a les « gentils », ces pays qui épousent les préceptes libéraux, et les « méchants », c’est-à-dire tous les autres… La guerre ne peut résulter que de l’action d’un autocrate agressif. La solution, pour promouvoir la paix dans le monde, est donc de chercher à renverser les dictateurs, imposer le pluripartisme démocratique, et libéraliser les échanges commerciaux. Les démocraties, sous l’égide du droit international, et liées entre elles par des accords de libre-échange, allaient répandre leur modèle bienfaisant partout et ce serait… « La fin de l’Histoire ». Sous l’égide américaine, les nations du monde allaient copier le modèle libéral et ne chercheraient plus qu’à s’enrichir pour le plus grand bonheur des individus libérés de l’oppression.
Quelques réalistes avaient prévenu : chercher à étendre l’OTAN finirait par irriter la Russie. Mais les idéalistes ont prévalu, arguant que la création d’une vaste « zone pacifique » à l’Est de l’Europe ne ferait qu’accélérer la transition démocratique dans les pays de la région. Il leur paraissait évident que la Russie ruinée et affaiblie ne ferait pas obstacle à cette stratégie pétrie de bonnes intentions. Elle n'a pas réagi quand la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque ont rejoint l’OTAN. Pourtant, le Secrétaire d’État James Baker avait lui-même assuré à Gorbatchev en 1990 que s’il laissait l’Allemagne réunifiée rejoindre l’OTAN, ce serait la frontière orientale de l’alliance… Les doutes russes se sont accumulés quand les Américains ont envahi l’Irak en 2003, et contribué à éliminer Kadhafi en 2011 en s’arrangeant avec le droit international. Voilà pourquoi Poutine réclame aujourd’hui des garanties écrites sur l’Ukraine.
Les Américains ont la mémoire courte : la « doctrine Monroe » de 1823 qui plaçait tout le continent américain sous leur suzeraineté n’a jamais été abandonnée. L’administration Reagan n’a pas hésité à organiser la rébellion des « Contras » dans le petit Nicaragua pour renverser le pouvoir sandiniste. 20 ans auparavant, l’épisode des « missiles de Cuba » a montré que Kennedy était prêt à déclencher une guerre mondiale… Au XIXème siècle, les Américains ont soutenu les rebelles mexicains contre la présence française. Comment s’étonner alors que les Russes voient comme une menace le prosélytisme occidental en Ukraine ? Le sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008 a alarmé les Russes. Sous la pression de l’administration Bush, une déclaration indiquait que la Géorgie et l’Ukraine seraient « dans le futur » invitées à rejoindre l’alliance. Les violentes manifestations de 2014 contre le président pro-russe Ianoukovitch en Ukraine ont conduit à son exil et son remplacement par un pro-Occidental. Là encore, le Kremlin a vu rouge dénonçant l’implication de la CIA…
Poutine n’est pas exempt de responsabilités : le chantage est rarement payant dans une négociation. Un autocrate qui utilise la corruption chez lui comme à l’étranger, voire qui envoie des tueurs à la poursuite d’opposants dans les pays membres de l’OTAN, incite à la méfiance. La Russie a piétiné le Mémorandum de Budapest de 1994 qui donnait des assurances à l’Ukraine contre le retour de l’arsenal nucléaire hérité de l’URSS. L’invasion de la Crimée a braqué les opinions ukrainienne et européenne contre Moscou. Historiquement enfin, les pays d’Europe de l’Est ont des raisons légitimes de s’inquiéter de « l’ours russe ».
Il n’y a qu’une manière de sortir de cette crise, prévient Stephen Walt : accepter un compromis. Mais les propositions américaines n’incluent pas le point capital pour les Russes : la promesse que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN. La solution dépend de Kiev qui devrait affirmer sa neutralité. L’OTAN n’aurait pas l’air de céder à un chantage tout en obtenant des garanties sur l’indépendance de l’Ukraine. Une sortie de « finlandisation » de ce pays à la marche entre ouest et est…