Le pass vaccinal préfigure-t-il le crédit social chinois ?
Société

Le pass vaccinal préfigure-t-il le crédit social chinois ?

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1502, Publiée le 05/02/2022
Souvent, la vérité sortait de la bouche de ce grand enfant, Coluche (1944-1986), dont les sérieuses plaisanteries élevaient si bien les consciences qu’elles lui firent pousser des ailes élyséennes. Trois ans avant sa candidature, l’humoriste se fendait du sketch Moi ça va (1977) dont voici une lumineuse réplique : « Il est très gentil le président de la république. Parce qu'il nous laisse des libertés, et tout le monde sait très que s’il nous les retirait... personne ne dirait rien ! » Cette prophétie se réalise-t-elle avec le pass vaccinal, obligatoire depuis le 24 janvier pour les personnes de 16 ans et plus dans les lieux accueillant du public ? Personne ne dit rien ou presque. En le validant le 21 janvier, le Conseil constitutionnel infligea un Waterloo à l’État de droit. Pourtant, quelques jours plus tôt, Laurent Fabius invitait chacun « au seuil d'échéances électorales majeures à bien mesurer ce qu’il est véritablement », estimant que son institution était menacée par Éric Zemmour...

Laurent Fabius fit valoir que le pass vaccinal « porte atteinte aux libertés mais [qu’] en raison du contexte, le gouvernement [n’avait] pas commis d’erreur manifeste ». Les « sages » demandèrent simplement « que ce pass [eût] une durée limitée ». Mais que vaut cette demande si elle n’est assortie d’aucune condition ? Le pass sanitaire européen pourrait être prolongé d’un an, jusqu'en juin 2023. Sur la foi de quoi peut-on juger du caractère « limité » ? Dans leur arrêt du 5 août sur le pass sanitaire, le Conseil reconnaissait déjà le caractère attentatoire aux libertés fondamentales mais, là aussi, en nuançait la portée en vertu de « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ».

Ces épisodes inspirent deux remarques : la première vise la compétence. Comment le « gardien des libertés » peut-il savoir que le pass est proportionné à la situation épidémique ? Le Conseil dit lui-même se prononcer « en l'état des connaissances scientifiques dont il disposait ». En quoi celles-ci justifiaient-elles de violer la Constitution ?

La seconde remarque touche à la protection. Les « sages » l’érigent en « valeur constitutionnelle », alors que ce concept ne saurait servir de passe-droit. C’est ici que s’impose un parallèle avec le crédit social chinois dans lequel l’État accorde au citoyen un capital de points qui peut être bonifié ou dégradé.

Chercheur à l’institut Thomas More, Cyrille Dalmont analyse le déploiement des outils de surveillance numérique dans nos démocraties occidentales. « Initialement, dit-il, ce "système de confiance en la société" prit forme dans les années 2000 à la demande des États-Unis ». Il s’agissait de noter des entreprises chinoises pour protéger et « faciliter les investissements étrangers ». Puis le système s’étendit à « l’idée d’une évaluation de la solvabilité des citoyens » afin de protéger les créanciers.

Dalmont note que la Chine ne prévoyait « absolument pas le traçage des citoyens ni le contrôle des populations ». C’est plus tard que le régime lança un programme de « sensibilisation à l’intégrité et à la crédibilité au sein de la société » (2014-2020) pour aboutir à un scoring comportemental reposant sur « l’honnêteté dans les affaires du gouvernement », « l’intégrité commerciale », « l’intégrité sociétale » et « une justice crédible ».

La protection est l'alibi et la matrice de la techno-dictature. C’est une morale d’État pour des États sans morale. Il s’agit de protéger la société – en fait le régime – en faisant passer les devoirs qu’il impose avant les droits qu’il concède.

Dans Le Monde, un autre chercheur de l’Institut Thomas More, Emmanuel Dubois de Prisque, fait remonter ce système « à la tradition confucéenne » voulant « "civiliser" la société chinoise et augmenter le niveau de vertu des citoyens ». La Chine, toutefois, n’est pas la Suisse. « La citoyenneté, ajoute-t-il, n’obéit pas à une logique universalisante comme en Occident ». Pour Séverine Arsène (IFRI), le crédit social « puise dans la manie de notation du régime communiste [qui] tient des dossiers secrets (dang’an) sur chaque citoyen ».

Le pass nous fait basculer d’un État de droit à un régime d’autorisation préalable. Qu'en conclut le Conseil constitutionnel ? Les citoyens sont déjà notés, selon que leur schéma vaccinal est complet, incomplet ou nul. Une gouvernance automatisée s’instaure aux dépens des checks and balances (« freins et contrepoids ») propre aux institutions démocratiques.

Le silence ne date pas d'hier. Le pass s’abreuve à deux sources : le permis à points, prototype du crédit social, « mis en place dans les années 2000 par les villes chinoises pour sélectionner les candidats à l’intégration urbaine », rappelle Le Monde. Et la lutte anti-terroriste, déjà ancienne, dont la doctrine consiste à surveiller tout le monde pour chasser quelques-uns.

Il suffit d’ajouter des couches logicielles, comme le pass écologique ou énergétique, pour faire entrer le crédit social dans la normalité de nos tristes vies.

 
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