International
La Transnistrie - le pays qui n'existe pas mais qui fait trembler l'Europe
Comment se fait-il que, depuis quelques jours, les feux des médias internationaux se sont soudainement braqués sur un des recoins les moins connus et les plus insolites d’Europe ? Avec 470 000 personnes et un territoire de 4000 km2, la Transnistrie (capitale Tiraspol) fait officiellement partie de la Moldavie, mais fonctionne comme un état auto-proclamé depuis la fin de l’URSS et une guerre de quelques mois contre les Moldaves en 1992. Lors d’un référendum en 2006, 97% de ses habitants (dont la plupart parlent le russe ou l’ukrainien plutôt que le roumain, langue officielle de la Moldavie) ont voté pour poursuivre l’intégration avec la Russie, dont ils sont pourtant séparés par plusieurs centaines de kilomètres de terres ukrainiennes. Si une requête en ce sens a été rejetée par Moscou en 2014, le « conflit gelé » avec la Moldavie dure jusqu’à maintenant ; l’invasion de l’Ukraine en février 2022 a donc fait de la Transnistrie – dont la frontière se trouve à 60 km d’Odessa – un morceau de terre stratégiquement très important.
Reconnue par aucun État, le drapeau de la Transnistrie porte encore le marteau et la faucille, et les statues de Lénine y sont restées intactes. L’économie est dominée par une seule société fondée par deux anciens officiers des services secrets russes, dont la fierté est l’équipe de football Sheriff Tiraspol, composée en grande partie de joueurs internationaux, qui a défrayé la chronique en 2021 en battant le Real Madrid dans la Ligue des Champions. On a estimé à 60% la part de l’économie illégale dans le PIB de la Transnistrie, dont la survie dépend du soutien de Moscou. La Russie fournit du gaz à la région séparatiste, qui envoie pourtant les factures aux autorités moldaves à Chisinau. Théoriquement, cela crée une dette transnistrienne qui s’élève à 400% du PIB, mais en réalité c'est la Moldavie qui se trouve piégée : renvoyer les impayées de Gazprom à la république rebelle pour règlement reviendrait à reconnaître l’indépendance de la Transnistrie. Militairement, quelques 1500-2000 soldats russes y sont installées : si 400-500 ont été mandatés pour maintenir la paix, les autres, dont la présence est considérée comme illégale par Chisinau, surveillent plutôt des entrepôts d'armes laissées par l’armée soviétique. Notamment les 20 000 tonnes d’équipements au dépôt de Cobasna, un des plus grands sites de ce type en Europe.
Si on rajoute à ces troupes russes les forces armées de la Transnistrie (quelques 7000), il est logique que les analystes militaires se soient posé la question des conséquences de leur implication éventuelle dans la guerre en Ukraine, soit pour renforcer les Russes dans le sud du pays, soit contre la Moldavie – neutre avec seulement 8000 troupes – lors d’un conflit élargi. Le 1er mars, lors d’une réunion télévisée, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a dévoilé une carte stratégique indiquant un plan d'attaque en direction de la Transnistrie par les forces russes en partant de la Mer Noire . Si cet assaut s’est avéré purement théorique, un signal plus concret a été donné le 22 avril par le général russe Rustam Minnekayev, mentionnant une opération militaire qui ferait le pont entre la Crimée et la Transnistrie, entre autres pour protéger sa communauté russe supposément menacée. Si on a émis des doutes sur le poids réel des propos de Minnekayev, des explosions inexpliquées se sont produites en plusieurs endroits en Transnistrie dans les jours suivant ses déclarations, dont un attentat par trois hommes masqués, filmé par une caméra de surveillance. Actes non-revendiqués, mais interprétés par Kyiv et Chisinau comme des provocations en vue d’une déstabilisation de la situation. Le 2 mai, le Times britannique a publié un article affirmant que la décision d’attaquer la Moldavie a déjà été approuvée par le Kremlin, s’appuyant sur des sources ukrainiennes. Un numéro spécial d’un journal en Transnistrie aurait été imprimé (ou contrefait à des fins de propagande) appelant Vladimir Poutine à intervenir dans la région.
Quels pourraient être les objectifs d’une telle intervention ? Si certains estiment qu'il s'agit d'une simple menace pour divertir l'attention de Kyiv, on pense également à l’utilisation éventuelle de l’aéroport de Tiraspol pour transporter des troupes russes afin d’ouvrir un deuxième front opérationnel dans l'Ukraine près d’Odessa. Scénario pourtant jugé logistiquement peu probable pour l’instant par les spécialistes, étant donné qu’il faudrait passer par l’espace aérien ukrainien, solidement défendu. Ce qui par contre semble plus probable, c’est une montée de la pression russe envers Chisinau dans les mois qui viennent, y compris par le chantage énergétique. Le paysage politique en Moldavie est lui-même assez complexe, notamment à cause de l'existence d'un courant prônant l'unification avec la Roumanie (accusée à son tour par Moscou de vouloir l'« Anschluss » de la Moldavie). Plutôt pro-russe sous la présidence d’Igor Dodon (2016-2020), l'opinion publique moldave a récemment pris un virage pro-européen avec l’élection de Maia Sandu, qui a demandé formellement l'adhésion du pays à l'UE le 3 mars 2022.
Reconnue par aucun État, le drapeau de la Transnistrie porte encore le marteau et la faucille, et les statues de Lénine y sont restées intactes. L’économie est dominée par une seule société fondée par deux anciens officiers des services secrets russes, dont la fierté est l’équipe de football Sheriff Tiraspol, composée en grande partie de joueurs internationaux, qui a défrayé la chronique en 2021 en battant le Real Madrid dans la Ligue des Champions. On a estimé à 60% la part de l’économie illégale dans le PIB de la Transnistrie, dont la survie dépend du soutien de Moscou. La Russie fournit du gaz à la région séparatiste, qui envoie pourtant les factures aux autorités moldaves à Chisinau. Théoriquement, cela crée une dette transnistrienne qui s’élève à 400% du PIB, mais en réalité c'est la Moldavie qui se trouve piégée : renvoyer les impayées de Gazprom à la république rebelle pour règlement reviendrait à reconnaître l’indépendance de la Transnistrie. Militairement, quelques 1500-2000 soldats russes y sont installées : si 400-500 ont été mandatés pour maintenir la paix, les autres, dont la présence est considérée comme illégale par Chisinau, surveillent plutôt des entrepôts d'armes laissées par l’armée soviétique. Notamment les 20 000 tonnes d’équipements au dépôt de Cobasna, un des plus grands sites de ce type en Europe.
Si on rajoute à ces troupes russes les forces armées de la Transnistrie (quelques 7000), il est logique que les analystes militaires se soient posé la question des conséquences de leur implication éventuelle dans la guerre en Ukraine, soit pour renforcer les Russes dans le sud du pays, soit contre la Moldavie – neutre avec seulement 8000 troupes – lors d’un conflit élargi. Le 1er mars, lors d’une réunion télévisée, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a dévoilé une carte stratégique indiquant un plan d'attaque en direction de la Transnistrie par les forces russes en partant de la Mer Noire . Si cet assaut s’est avéré purement théorique, un signal plus concret a été donné le 22 avril par le général russe Rustam Minnekayev, mentionnant une opération militaire qui ferait le pont entre la Crimée et la Transnistrie, entre autres pour protéger sa communauté russe supposément menacée. Si on a émis des doutes sur le poids réel des propos de Minnekayev, des explosions inexpliquées se sont produites en plusieurs endroits en Transnistrie dans les jours suivant ses déclarations, dont un attentat par trois hommes masqués, filmé par une caméra de surveillance. Actes non-revendiqués, mais interprétés par Kyiv et Chisinau comme des provocations en vue d’une déstabilisation de la situation. Le 2 mai, le Times britannique a publié un article affirmant que la décision d’attaquer la Moldavie a déjà été approuvée par le Kremlin, s’appuyant sur des sources ukrainiennes. Un numéro spécial d’un journal en Transnistrie aurait été imprimé (ou contrefait à des fins de propagande) appelant Vladimir Poutine à intervenir dans la région.
Quels pourraient être les objectifs d’une telle intervention ? Si certains estiment qu'il s'agit d'une simple menace pour divertir l'attention de Kyiv, on pense également à l’utilisation éventuelle de l’aéroport de Tiraspol pour transporter des troupes russes afin d’ouvrir un deuxième front opérationnel dans l'Ukraine près d’Odessa. Scénario pourtant jugé logistiquement peu probable pour l’instant par les spécialistes, étant donné qu’il faudrait passer par l’espace aérien ukrainien, solidement défendu. Ce qui par contre semble plus probable, c’est une montée de la pression russe envers Chisinau dans les mois qui viennent, y compris par le chantage énergétique. Le paysage politique en Moldavie est lui-même assez complexe, notamment à cause de l'existence d'un courant prônant l'unification avec la Roumanie (accusée à son tour par Moscou de vouloir l'« Anschluss » de la Moldavie). Plutôt pro-russe sous la présidence d’Igor Dodon (2016-2020), l'opinion publique moldave a récemment pris un virage pro-européen avec l’élection de Maia Sandu, qui a demandé formellement l'adhésion du pays à l'UE le 3 mars 2022.