Le français de Louisiane retrouve peu à peu sa voix !
Le « français louisianais » figure parmi les langues en danger de disparition. On comptait encore près d'un million de locuteurs en 1960 contre à peine 120 000 en 2023 dans cet État du sud des États-Unis, ancienne colonie française. Les hispanophones, au nombre de 160 000, y sont aujourd'hui plus nombreux. Le terme « français louisianais » regroupe plusieurs dialectes apparentés, chacun avec des influences différentes : les fermiers et pêcheurs du nord-ouest de la France, les Indiens Choctaw, les Créoles venus des Antilles, ainsi que les Acadiens (d'où les « Cajuns ») chassés de la Nouvelle-Écosse par les Anglais en 1755.
La France de Louis XIV a affirmé sa souveraineté sur le territoire de la Louisiane en 1682. Cette colonie située sur le delta du Mississippi faisait partie d'une immense région sous contrôle français qu'on appelait la « Nouvelle France ». Avec des conditions de vie difficiles, les Français ont tant bien que mal cherché à peupler la Louisiane, jusqu'à ce qu'elle devienne espagnole, en 1762. Récupérée en 1800, la Basse-Louisiane sera vendue aux États-Unis en 1803 par Napoléon Bonaparte. La culture et la langue française ont néanmoins perduré pendant des décennies. La Constitution de 1845 affichait l'anglais et le français comme les langues officielles pour les débats parlementaires. Les lois étaient d'ailleurs rédigées dans les deux langues. Mais la Louisiane allait être punie pour son engagement au sein de la Confédération sudiste. En 1864, une nouvelle Constitution, après l'invasion des troupes fédérales, imposait l'anglais comme seule langue législative. Le texte constitutionnel gardait cependant une version française et les francophones restaient éligibles. Ce n'était qu'une étape et le tour de vis suivant n'a pas tardé : en 1868, tous les textes officiels devaient être rédigés en anglais. Preuve que le « louisianais » ne voulait pas mourir : les autorités ont dû amender la Constitution en 1879 pour permettre la pratique du français dans les « paroisses » (c'est le terme toujours utilisé au lieu de « comté »). Et le français restait enseigné dans les écoles primaires et secondaires, rappelle le site Versed.
En 1921, l'Amérique triomphante de Woodrow Wilson (voir LSDJ 1973) voulut en finir avec le bannissement du français dans les écoles publiques. Cette mesure d'une grande violence a laissé les francophones désemparés. Ils n'étaient pas « assez » Américains. Preuve de leur résilience exceptionnelle, une résistance pacifique s'est organisée : les enfants ont rejoint massivement les écoles privées catholiques qui pratiquaient le français. Les autorités ont répliqué en imposant l'anglais partout et en attirant des professeurs ne connaissant pas le français. La pratique de la langue interdite était moquée (« Don't speak Cajun, speak White ! », « Ne parlez pas Cajun, parlez Blanc ! ») et des châtiments corporels étaient infligés aux jeunes contrevenants. Les parents ont voulu protéger leurs enfants et les ont encouragés à se soumettre. La Seconde Guerre mondiale a accéléré la tendance : les engagés de Louisiane ont été confrontés à la barrière de la langue et ont dû maîtriser l'anglais pour participer à l'effort de guerre. Le sentiment patriotique et l'adhésion à l'American way of life ont étouffé encore plus le « louisianais » qui a chuté de 17 % en tant que première langue chez les enfants nés pendant les quatre années du conflit.
La tendance s'est inversée avec une prise de conscience d'abord pratique pendant la Guerre Froide : les francophones étaient très utiles pour mieux communiquer avec des alliés partageant la langue. Ils constituaient aussi une richesse culturelle (et touristique) unique pour l'État. En 1968, un comité pour la conservation de la langue a été créé avec pour slogan : « L'homme qui parle deux langues vaut deux hommes. » De nombreuses initiatives ont été encouragées avec des associations pour faire revivre la culture. Enfin, en 1974, l'imposition de l'anglais comme seule langue d'enseignement a été annulée. La Cour suprême a même tranché en 1980 en faveur d'un homme qui accusait son employeur de l'avoir licencié à cause de ses origines : l'identité « cajun » passait sous la protection des lois anti-discrimination.
Le français louisianais a du mal à renaître, alors que l'espagnol gagne du terrain chez les jeunes. Mais les autorités ne baissent pas les bras : il y a actuellement 100 000 élèves dans les écoles enseignant le français. Cela reste compliqué : les professeurs sont souvent canadiens ou français et ne pratiquent pas les subtilités des dialectes locaux. Alors l'effort se porte aussi sur les communautés locales pour combler ce vide avec un vrai succès ! De plus en plus de groupes de musique francophones se font connaître et les associations encouragent les anciens à se réunir en public en ne pratiquant que le « cajun » dans les paroisses du bayou. Cette dernière initiative a déjà des résultats : l'intérêt renaît avec de nouveaux médias comme Télé-Louisiane lancée par un groupe de jeunes gens et qui porte la langue sur le petit écran. Comme l'affirme fièrement le journal le Bourdon de la Louisiane : « Jamais on ne lâchera la patate ! »