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Et si l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS nous aidait à comprendre la guerre en Ukraine
Pourquoi la Russie a-t-elle envahi l’Ukraine en 2022 ? Pour répondre à cette question, il faudra attendre que des archives parlent. L’info continue saisit l’instant présent dans sa puissance mais aussi son insignifiance. Seul le temps, au tribunal de l’histoire, peut se faire l’avocat de la vérité des faits.
« Pourquoi le Kremlin a-t-il pris, en 1979, la folle décision d’envahir l’Afghanistan ? » se demandait le Nouvel Obs peu après l’évacuation dantesque de l’aéroport de Kaboul, le 15 août dernier. Comme si plus de quarante après, il demeurait une énigme à résoudre. C’est que depuis lors, les archives russes et américaines apportèrent des réponses « pour le moins inattendues », écrit Vincent Jauvert. Mais qui le sait à part quelques initiés ? Ce genre d'info arrive trop tard pour que le grand public, à la mémoire toujours défaillante, se l’approprie.
La guerre en Afghanistan (1979-1989) occupe une place à part. Malgré ses blindés, cet interventionnisme rouge ne ressemble pas à l’écrasement des révoltes populaires survenues au sein de certaines colonies soviétiques d’Europe de l’Est : Berlin-Est (juin 1953), Budapest (1956) et Prague (1968). Ces trois épisodes de la « normalisation » poststalinienne, si sanglants qu’ils furent, ne déstabilisèrent pas l’Empire soviétique, alors que l’Afghanistan, qui n’en faisait point partie, précipita sa chute.
À l’époque, le numéro un à Moscou s’appelle Léonid Brejnev, au pouvoir suprême de 1964 à 1982. Cet Ukrainien à l'air asiatique est un modèle de méchant pour James Bond. Visage sombre, sourcils épais, carrure de sumo, poitrine plastronnée de médailles. C’est encore un « héros » de cette Union soviétique dont la propagande organise le culte de la personnalité. Brejnev a de quoi faire peur à la planète.
Quand il attaque l’Afghanistan, les Américains se demandent évidemment pourquoi. Zbigniew Brzezinski, le fameux conseiller à la sécurité de Jimmy Carter, donne sa version : « Les dirigeants russes (pas soviétiques..., NDLR) cherchent tout simplement à agrandir leur territoire (…) et à mettre la main sur une zone hautement stratégique ». Deux jours après l'invasion, dans une note top secrète du 26 décembre 1979, Brzezinski pointe « le vieux rêve de Moscou d’avoir un accès direct à l’océan Indien ».
Les mers chaudes, Brejnev rêve d’y faire boire son cheval ! Bref, les experts attribuent l’offensive de l’ours moscovite à un plan de grande ampleur, à des visées stratégico-impériales. L’URSS veut alors, disent-ils, enfoncer les lignes vers un sud fantasmé, même si Nino Ferrer ne sort sa chanson qu’en 1975. Cette cause de la guerre en Afghanistan sera colportée jusqu’à nous. Pour le Nouvel Obs, « c’est la doxa qui prévaudra à l’Ouest pendant des années ».
Si Brejnev délaisse la politique intérieure, il ne se prend pas non plus pour un Napoléon chevauchant le monde. Tout est affaire de circonstances et d'équilibre. Brzezinski juge que l’arrivée au pouvoir de Khomeini (début 1979) « pourrait aboutir à une présence soviétique jusqu’aux rivages du golfe Persique ».
Et si cette thèse était fausse ? Et si Brejnev n'était pas le Grand Satan auquel son image se prête volontiers ? Et si le président du Præsidium du Soviet suprême avait tout simplement... peur ? Mais de quoi ? Ici, les archives parlent : « C’est le scénario inverse, résume l'Obs, qui terrifie Brejnev et les membres du Politburo : l’alignement de l’Afghanistan sur les États-Unis, et ainsi le risque d’ouverture de bases de l’US Army, avec des missiles nucléaires, sur le flanc dégarni de l’URSS du Sud-Est. »
Tout part de la rencontre secrète, le 27 octobre 1979, entre un émissaire américain et le nouveau maître de l’Afghanistan, Hafizullah Amin. Officiellement, ce Pachtoune inspiré par le kémalisme roule pour l’Union soviétique. Mais l'homme, anglophone diplômé de l'université new yorkaise de Columbia, se montre US friendly. L'Obs cite une note de décembre 1979, juste avant l'invasion. Youri Andropov, chef du KGB, écrit à Brejnev : « Nous avons reçu des informations sur les activités secrètes d’Amin qui pourrait signifier une réorientation vers l’Ouest. » Le KGB parle de « missiles américains à courte portée visant des objectifs stratégiques au Kazakhstan [alors République soviétique, NDLR], en Sibérie et ailleurs ». Il n'en faut pas plus pour que Brejnev le froussard sonne le tocsin. Le jour de Noël 1979, Amin et sa famille sont liquidés à Kaboul par le KGB. L'Armée rouge entre dans le pays.
En résumé, selon les archives, l'URSS n'avait pas l'intention d'envahir l'Afghanistan. Sur l'échiquier du monde, Washington avait avancé son pion trop près. Moscou paniqua et, plutôt que d'attendre le coup suivant, le lui mangea avec son fou. Après, cet épilogue présente deux lacunes :
1. On ne peut pas limiter la grande histoire aux seuls récits d'espionnage, en faisant abstraction des idéologies et de la volonté de domination. À l'époque, on fuyait vers l'Ouest.
2. Comme dans tout conflit, y compris interpersonnel, il y a toujours quelqu'un pour dire que c'est l'autre qui a commencé.
Toute ressemblance avec des situations existantes serait purement fortuite, évidemment ...
« Pourquoi le Kremlin a-t-il pris, en 1979, la folle décision d’envahir l’Afghanistan ? » se demandait le Nouvel Obs peu après l’évacuation dantesque de l’aéroport de Kaboul, le 15 août dernier. Comme si plus de quarante après, il demeurait une énigme à résoudre. C’est que depuis lors, les archives russes et américaines apportèrent des réponses « pour le moins inattendues », écrit Vincent Jauvert. Mais qui le sait à part quelques initiés ? Ce genre d'info arrive trop tard pour que le grand public, à la mémoire toujours défaillante, se l’approprie.
La guerre en Afghanistan (1979-1989) occupe une place à part. Malgré ses blindés, cet interventionnisme rouge ne ressemble pas à l’écrasement des révoltes populaires survenues au sein de certaines colonies soviétiques d’Europe de l’Est : Berlin-Est (juin 1953), Budapest (1956) et Prague (1968). Ces trois épisodes de la « normalisation » poststalinienne, si sanglants qu’ils furent, ne déstabilisèrent pas l’Empire soviétique, alors que l’Afghanistan, qui n’en faisait point partie, précipita sa chute.
À l’époque, le numéro un à Moscou s’appelle Léonid Brejnev, au pouvoir suprême de 1964 à 1982. Cet Ukrainien à l'air asiatique est un modèle de méchant pour James Bond. Visage sombre, sourcils épais, carrure de sumo, poitrine plastronnée de médailles. C’est encore un « héros » de cette Union soviétique dont la propagande organise le culte de la personnalité. Brejnev a de quoi faire peur à la planète.
Quand il attaque l’Afghanistan, les Américains se demandent évidemment pourquoi. Zbigniew Brzezinski, le fameux conseiller à la sécurité de Jimmy Carter, donne sa version : « Les dirigeants russes (pas soviétiques..., NDLR) cherchent tout simplement à agrandir leur territoire (…) et à mettre la main sur une zone hautement stratégique ». Deux jours après l'invasion, dans une note top secrète du 26 décembre 1979, Brzezinski pointe « le vieux rêve de Moscou d’avoir un accès direct à l’océan Indien ».
Les mers chaudes, Brejnev rêve d’y faire boire son cheval ! Bref, les experts attribuent l’offensive de l’ours moscovite à un plan de grande ampleur, à des visées stratégico-impériales. L’URSS veut alors, disent-ils, enfoncer les lignes vers un sud fantasmé, même si Nino Ferrer ne sort sa chanson qu’en 1975. Cette cause de la guerre en Afghanistan sera colportée jusqu’à nous. Pour le Nouvel Obs, « c’est la doxa qui prévaudra à l’Ouest pendant des années ».
Si Brejnev délaisse la politique intérieure, il ne se prend pas non plus pour un Napoléon chevauchant le monde. Tout est affaire de circonstances et d'équilibre. Brzezinski juge que l’arrivée au pouvoir de Khomeini (début 1979) « pourrait aboutir à une présence soviétique jusqu’aux rivages du golfe Persique ».
Et si cette thèse était fausse ? Et si Brejnev n'était pas le Grand Satan auquel son image se prête volontiers ? Et si le président du Præsidium du Soviet suprême avait tout simplement... peur ? Mais de quoi ? Ici, les archives parlent : « C’est le scénario inverse, résume l'Obs, qui terrifie Brejnev et les membres du Politburo : l’alignement de l’Afghanistan sur les États-Unis, et ainsi le risque d’ouverture de bases de l’US Army, avec des missiles nucléaires, sur le flanc dégarni de l’URSS du Sud-Est. »
Tout part de la rencontre secrète, le 27 octobre 1979, entre un émissaire américain et le nouveau maître de l’Afghanistan, Hafizullah Amin. Officiellement, ce Pachtoune inspiré par le kémalisme roule pour l’Union soviétique. Mais l'homme, anglophone diplômé de l'université new yorkaise de Columbia, se montre US friendly. L'Obs cite une note de décembre 1979, juste avant l'invasion. Youri Andropov, chef du KGB, écrit à Brejnev : « Nous avons reçu des informations sur les activités secrètes d’Amin qui pourrait signifier une réorientation vers l’Ouest. » Le KGB parle de « missiles américains à courte portée visant des objectifs stratégiques au Kazakhstan [alors République soviétique, NDLR], en Sibérie et ailleurs ». Il n'en faut pas plus pour que Brejnev le froussard sonne le tocsin. Le jour de Noël 1979, Amin et sa famille sont liquidés à Kaboul par le KGB. L'Armée rouge entre dans le pays.
En résumé, selon les archives, l'URSS n'avait pas l'intention d'envahir l'Afghanistan. Sur l'échiquier du monde, Washington avait avancé son pion trop près. Moscou paniqua et, plutôt que d'attendre le coup suivant, le lui mangea avec son fou. Après, cet épilogue présente deux lacunes :
1. On ne peut pas limiter la grande histoire aux seuls récits d'espionnage, en faisant abstraction des idéologies et de la volonté de domination. À l'époque, on fuyait vers l'Ouest.
2. Comme dans tout conflit, y compris interpersonnel, il y a toujours quelqu'un pour dire que c'est l'autre qui a commencé.
Toute ressemblance avec des situations existantes serait purement fortuite, évidemment ...