International
Erdogan, la Suède et la Grèce
L’attitude d’Ankara est désormais claire. Après des mois de discussions entre la Turquie, la Suède et la Finlande, le président Erdogan vient d’annoncer qu’il ne soutiendra pas la candidature suédoise à l’OTAN. Etant donné que chaque postulant doit être accepté par les 30 membres de l’alliance à l’unanimité, ce véto turc ferme-t-il définitivement la porte à la Suède ? Selon les analystes, on se trouve devant une situation complexe où se mêlent des questions géopolitiques et des facteurs liés aux élections annoncées pour le 14 mai où se jouera l’avenir d’Erdogan, au pouvoir depuis 20 ans mais en proie à de sérieuses difficultés internes dans un pays où l’inflation annuelle a atteint 85% en octobre 2022.
La raison immédiate pour la fermeté de la Turquie envers Stockholm a été un incident devant l’ambassade turque au cours duquel l’activiste d’extrême droite Rasmus Paludan a brûlé le Coran, provoquant des protestations dans le monde musulman. Malgré les excuses du premier ministre suédois pour l'« acte profondément irrespectueux » d'un individu déjà connu pour ses provocations, Ankara a cité le manque d’intervention de la part de la police suédoise pour justifier son opposition à l’adhésion de la Suède à l’OTAN. La plupart des commentateurs y voient par contre une instrumentalisation par Erdogan de l’incident, arrivé tel un « cadeau » électoral « fait à un président fragile et fragilisé » qui cherche à se positionner en tant que défenseur de l’islam afin de renforcer sa popularité auprès des conservateurs turcs. Il faut également souligner que les difficultés dans les discussions avec la Suède ont commencé bien plus tôt, la Turquie ayant mis de la pression pour obtenir l’extradition d’environ 35 activistes kurdes réfugiés en Suède, liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et soupçonnés d’être impliqués dans le coup d’état raté contre Erdogan en 2016. C’est avant tout la présence des immigrés kurdes qui constitue la pierre d’achoppement dans les relations turco-suédoises et la raison pour laquelle Ankara a adopté une ligne bien plus dure face à Stockholm qu'envers la candidature finlandaise à l'OTAN, qui n’a pas suscité la même opposition. De son côté, le gouvernement suédois dit qu'il n'est pas en état de répondre aux exigences turques (les extraditions dépendant plutôt de la Cour Suprême), même s’il a fait une concession en renvoyant à Istanbul le ressortissant turc Mahmut Tat le 3 décembre 2022.
S’il semble évident que la position turque par rapport à la Suède n’évoluera pas avant le 14 mai, ce n’est pas le seul dossier géopolitique où Erdogan semble vouloir jouer la carte nationaliste. Un autre aspect de sa politique étrangère qui inquiète l’opinion internationale depuis longtemps est sa rhétorique contre la Grèce, dont le ton s’est considérablement durci au cours des derniers mois. Les contentieux historiques entre les deux pays ne manquent pas, dont l’occupation par la Turquie de la partie nord de l’île de Chypre depuis 1974, mais les tensions actuelles se cristallisent autour des îles grecques de la mer Egée. À quelques kilomètres de la côte turque, ces îles prises par la Grèce à l’empire Ottoman en 1912-13 furent accordées aux Grecs en 1923 lors du traité de Lausanne. L’activité militaire y est régie par une série d’accords assez complexes signés entre 1923 et 1947, dont l’interprétation est pourtant fortement disputée par les deux côtés. Selon Ankara, le déploiement récent de véhicules militaires américains sur les îles viole ces accords, tandis que pour les Grecs, il s’agit de mesures de légitime défense face à la possibilité d’un acte d’agression turc.
En juin 2022, Erdogan a proféré une menace directe en grec sur Twitter : « Nous avertissons une fois de plus la Grèce […] de rester loin […] des actions qui la conduiront à des résultats qu’elle regrettera, comme cela s’est produit il y a un siècle ». Référence glaçante à la prise de la ville de Smyrne (Izmir) par la Turquie en 1922, suivie de massacres et d'un terrible incendie où ont péri des dizaines de milliers de Grecs et Arméniens. Évènements tragiques auxquels Erdogan fait une nouvelle allusion en septembre : « Nous avons un mot pour la Grèce : n’oubliez pas Izmir. […] Votre occupation des îles ne nous lie en rien. Le moment venu, nous ferons le nécessaire. Nous pouvons arriver subitement la nuit. » Le 11 décembre, Erdogan renouvelle ses menaces en évoquant le nouveau missile turc « Tayfun » (typhon) : « Quand vous dites "Tayfun", les Grecs ont peur. Ils se disent qu’il pourrait frapper Athènes. Et cela pourrait arriver si vous ne gardez pas votre calme. »
Les élections en mai s'annoncent déterminantes pour l'évolution de la politique étrangère turque. Si Erdogan est souvent considéré comme impopulaire, pour l'instant l'opposition peine à trouver un candidat crédible. Leur figure phare Ekrem Imamoglu, maire d'Istanbul et favorable à la collaboration avec la Grèce, pourrait seulement concourir s'il arrive à annuler sa condamnation à deux ans de prison lors d'un procès jugé par beaucoup comme étant politiquement motivé.
La raison immédiate pour la fermeté de la Turquie envers Stockholm a été un incident devant l’ambassade turque au cours duquel l’activiste d’extrême droite Rasmus Paludan a brûlé le Coran, provoquant des protestations dans le monde musulman. Malgré les excuses du premier ministre suédois pour l'« acte profondément irrespectueux » d'un individu déjà connu pour ses provocations, Ankara a cité le manque d’intervention de la part de la police suédoise pour justifier son opposition à l’adhésion de la Suède à l’OTAN. La plupart des commentateurs y voient par contre une instrumentalisation par Erdogan de l’incident, arrivé tel un « cadeau » électoral « fait à un président fragile et fragilisé » qui cherche à se positionner en tant que défenseur de l’islam afin de renforcer sa popularité auprès des conservateurs turcs. Il faut également souligner que les difficultés dans les discussions avec la Suède ont commencé bien plus tôt, la Turquie ayant mis de la pression pour obtenir l’extradition d’environ 35 activistes kurdes réfugiés en Suède, liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et soupçonnés d’être impliqués dans le coup d’état raté contre Erdogan en 2016. C’est avant tout la présence des immigrés kurdes qui constitue la pierre d’achoppement dans les relations turco-suédoises et la raison pour laquelle Ankara a adopté une ligne bien plus dure face à Stockholm qu'envers la candidature finlandaise à l'OTAN, qui n’a pas suscité la même opposition. De son côté, le gouvernement suédois dit qu'il n'est pas en état de répondre aux exigences turques (les extraditions dépendant plutôt de la Cour Suprême), même s’il a fait une concession en renvoyant à Istanbul le ressortissant turc Mahmut Tat le 3 décembre 2022.
S’il semble évident que la position turque par rapport à la Suède n’évoluera pas avant le 14 mai, ce n’est pas le seul dossier géopolitique où Erdogan semble vouloir jouer la carte nationaliste. Un autre aspect de sa politique étrangère qui inquiète l’opinion internationale depuis longtemps est sa rhétorique contre la Grèce, dont le ton s’est considérablement durci au cours des derniers mois. Les contentieux historiques entre les deux pays ne manquent pas, dont l’occupation par la Turquie de la partie nord de l’île de Chypre depuis 1974, mais les tensions actuelles se cristallisent autour des îles grecques de la mer Egée. À quelques kilomètres de la côte turque, ces îles prises par la Grèce à l’empire Ottoman en 1912-13 furent accordées aux Grecs en 1923 lors du traité de Lausanne. L’activité militaire y est régie par une série d’accords assez complexes signés entre 1923 et 1947, dont l’interprétation est pourtant fortement disputée par les deux côtés. Selon Ankara, le déploiement récent de véhicules militaires américains sur les îles viole ces accords, tandis que pour les Grecs, il s’agit de mesures de légitime défense face à la possibilité d’un acte d’agression turc.
En juin 2022, Erdogan a proféré une menace directe en grec sur Twitter : « Nous avertissons une fois de plus la Grèce […] de rester loin […] des actions qui la conduiront à des résultats qu’elle regrettera, comme cela s’est produit il y a un siècle ». Référence glaçante à la prise de la ville de Smyrne (Izmir) par la Turquie en 1922, suivie de massacres et d'un terrible incendie où ont péri des dizaines de milliers de Grecs et Arméniens. Évènements tragiques auxquels Erdogan fait une nouvelle allusion en septembre : « Nous avons un mot pour la Grèce : n’oubliez pas Izmir. […] Votre occupation des îles ne nous lie en rien. Le moment venu, nous ferons le nécessaire. Nous pouvons arriver subitement la nuit. » Le 11 décembre, Erdogan renouvelle ses menaces en évoquant le nouveau missile turc « Tayfun » (typhon) : « Quand vous dites "Tayfun", les Grecs ont peur. Ils se disent qu’il pourrait frapper Athènes. Et cela pourrait arriver si vous ne gardez pas votre calme. »
Les élections en mai s'annoncent déterminantes pour l'évolution de la politique étrangère turque. Si Erdogan est souvent considéré comme impopulaire, pour l'instant l'opposition peine à trouver un candidat crédible. Leur figure phare Ekrem Imamoglu, maire d'Istanbul et favorable à la collaboration avec la Grèce, pourrait seulement concourir s'il arrive à annuler sa condamnation à deux ans de prison lors d'un procès jugé par beaucoup comme étant politiquement motivé.