Société
Conseil de déontologie ou d'idéologie ?
Le 2 décembre n’est pas seulement l’anniversaire d’Austerlitz. Certains, dans le petit milieu médiatique, parlent déjà de Waterloo des libertés. Le 2 décembre dernier, donc, par la volonté du gouvernement, la profession se dotait d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Gendarme, régulateur, censeur, etc. : les étiquettes pleuvent sur cette initiative. Pour Étienne Gernelle, directeur du Point interrogé par l’AFP, « c'est un machin gouvernemental monté par des apparatchiks qui veulent donner des leçons aux autres et qui répondent aux ordres d'Emmanuel Macron ». Sur la même ligne, dix-neuf sociétés de journalistes et de rédacteurs, dont celles de l'AFP, France Inter, TF1 ou Mediapart, dénoncent ce nouvel organe : « Ce sont les lecteurs qui jugent les journalistes, pas les journalistes qui se jugent entre eux. » Et leur communiqué ajoute que « la manière dont se crée aujourd'hui ce CDJM ne [nous] inspire pas confiance ». À leurs yeux, la loi sur les fausses nouvelles en période électorale et la loi sur le secret des affaires suffisent à douter de la bonne volonté gouvernementale. La plupart des éditeurs des quotidiens généralistes, nationaux ou régionaux, expriment aussi leur réprobation. « Même si cet organe se révélait indépendant, affirme le patron du Point, à quoi servirait-il, alors que la justice règle déjà les litiges ? » Et de manière fort efficace, l’arsenal juridique étant déjà très structuré depuis que la loi de 1881 « encadre » la liberté de la presse.
Faut-il néanmoins s’associer au chœur des pleureuses ? Pas si sûr. Il faut écouter Patrick Eveno, président de l'Observatoire de la déontologie de l'information (ODI). C’est lui qui va chapeauter le CDJM. « Dire que c'est une instance liberticide, c'est une posture. C'est au contraire un outil au service de la liberté de la presse », estime-t-il, en prenant pour exemple les organes similaires opérant dans des pays comme la Belgique ou la Suisse. Est-ce en raison de sa législation répressive que la France faisait jusque-là exception ? Un tel conseil existe déjà en Allemagne (Presserat), en Suède (Pressens Opinionsnämnd), où il est le plus ancien organe de ce type du monde, et même en Grande-Bretagne : à la suite d’un scandale d’écoutes téléphoniques utilisées par un tabloïd, le gouvernement britannique avait incité les media à se munir d’un régulateur (Impress) concurrencé par un autre gendarme du secteur (IPSO, Independent Press Standards Organisation).
Patrick Eveno assure que « ce ne sera pas un conseil de l'ordre, ni un organe de censure, il n'interviendra jamais sur les choix rédactionnels ». On a toutes les raisons de le croire car le moindre écart de conduite torpillerait immédiatement la légitimité de son action. Le CDJM se présente comme « un droit de recours citoyen face aux media ». Jean-Luc Mélenchon, dont on sait l’amitié qu’il porte aux journalistes, voudrait que ce conseil obtienne « un pouvoir de sanction symbolique réel et reconnu ». Le gouvernement écarte cette piste pour ne pas raviver les tensions entre la profession et l'exécutif. Mais sans aller jusqu’à se substituer à la Justice, on peut se réjouir qu’une partie de la profession accepte de rendre des comptes sur ses pratiques. « Ce Conseil, assure l'ODI, sera un organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'État ». À l’heure où les corps intermédiaires sont contestés de toutes parts, il y a une forme de sagesse à vouloir en mettre dans un milieu qui s’estime à l’abri de toute critique et ne se remet jamais en cause. Le CDJM sera ce que les bonnes volontés en feront. Selon ses promoteurs, l’organe veut aider à réduire le fossé qui, depuis les Gilets jaunes, ne cesse de se creuser entre journalistes et citoyens. Le CDJM entend également servir d’espace de réflexion sur des sujets comme la désinformation. Fort bien. Celle-ci touche tous les media, et pas seulement les excités du net. Mediapart en a fait des tonnes sur François de Rugy et s’est tu sur Pierre Joxe. Pourquoi ? Si de telles questions – et tant d’autres – peuvent être débattues, la profession en sortira grandie. S’il s’agit d’un énième tribunal de la presse ou d’un cache-sexe de la bien-pensance, le CDJM sera vite frappé d’obsolescence. Gageons que celle-ci ne soit pas programmée.
Faut-il néanmoins s’associer au chœur des pleureuses ? Pas si sûr. Il faut écouter Patrick Eveno, président de l'Observatoire de la déontologie de l'information (ODI). C’est lui qui va chapeauter le CDJM. « Dire que c'est une instance liberticide, c'est une posture. C'est au contraire un outil au service de la liberté de la presse », estime-t-il, en prenant pour exemple les organes similaires opérant dans des pays comme la Belgique ou la Suisse. Est-ce en raison de sa législation répressive que la France faisait jusque-là exception ? Un tel conseil existe déjà en Allemagne (Presserat), en Suède (Pressens Opinionsnämnd), où il est le plus ancien organe de ce type du monde, et même en Grande-Bretagne : à la suite d’un scandale d’écoutes téléphoniques utilisées par un tabloïd, le gouvernement britannique avait incité les media à se munir d’un régulateur (Impress) concurrencé par un autre gendarme du secteur (IPSO, Independent Press Standards Organisation).
Patrick Eveno assure que « ce ne sera pas un conseil de l'ordre, ni un organe de censure, il n'interviendra jamais sur les choix rédactionnels ». On a toutes les raisons de le croire car le moindre écart de conduite torpillerait immédiatement la légitimité de son action. Le CDJM se présente comme « un droit de recours citoyen face aux media ». Jean-Luc Mélenchon, dont on sait l’amitié qu’il porte aux journalistes, voudrait que ce conseil obtienne « un pouvoir de sanction symbolique réel et reconnu ». Le gouvernement écarte cette piste pour ne pas raviver les tensions entre la profession et l'exécutif. Mais sans aller jusqu’à se substituer à la Justice, on peut se réjouir qu’une partie de la profession accepte de rendre des comptes sur ses pratiques. « Ce Conseil, assure l'ODI, sera un organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'État ». À l’heure où les corps intermédiaires sont contestés de toutes parts, il y a une forme de sagesse à vouloir en mettre dans un milieu qui s’estime à l’abri de toute critique et ne se remet jamais en cause. Le CDJM sera ce que les bonnes volontés en feront. Selon ses promoteurs, l’organe veut aider à réduire le fossé qui, depuis les Gilets jaunes, ne cesse de se creuser entre journalistes et citoyens. Le CDJM entend également servir d’espace de réflexion sur des sujets comme la désinformation. Fort bien. Celle-ci touche tous les media, et pas seulement les excités du net. Mediapart en a fait des tonnes sur François de Rugy et s’est tu sur Pierre Joxe. Pourquoi ? Si de telles questions – et tant d’autres – peuvent être débattues, la profession en sortira grandie. S’il s’agit d’un énième tribunal de la presse ou d’un cache-sexe de la bien-pensance, le CDJM sera vite frappé d’obsolescence. Gageons que celle-ci ne soit pas programmée.