Culture
Ce qu’Alexandre Soljenitsyne continue de nous dire
Alexandre Soljenitsyne aurait eu cent ans le 11 décembre. Il repose depuis dix ans au monastère Donskoï de Moscou, au cœur de sa chère Russie où il était revenu d’exil en 1994 pour achever sa vie. Cet immense écrivain fut un témoin et un voyant. Depuis ce jour de 1945 où Staline le précipita dans l’enfer des réprouvés du régime, il ne cessa de mobiliser sa puissance d’observation et sa prodigieuse mémoire -longuement exercée dans les camps, où l’écriture lui était interdite- pour témoigner. « Je voulais être la mémoire d'un peuple qu'un grand malheur avait frappé » a-t-il rapporté. Ce fut « L’Archipel du Goulag » (1973) où, décrivant cet immense réseau de camps où furent broyés quelque 20 millions de détenus (4 millions y périrent selon des estimations faites après l’ouverture partielle des archives soviétiques), il fit mesurer au monde l’horreur du régime concentrationnaire soviétique.
Mais Soljenitsyne ne s’est pas contenté de rapporter des faits et de convoquer victimes et bourreaux (dominés par le trio infernal : Lénine, Trotski, Staline) devant le tribunal de l’Histoire. Il a mobilisé toute son énergie et son immense puissance intellectuelle pour comprendre les ressorts de « La Roue rouge » (1993) qui happa des dizaines de millions de personnes, hommes, femmes, enfants en Russie, avant d’exporter ses ravages sur d’autres continents. Si son combat titanesque contre le régime soviétique appartient à l’Histoire, le totalitarisme communiste asservit encore près du quart de l’humanité.
Soljenitsyne n’a pas estimé que la chute du communisme en Russie mettait un terme à sa mission. Il a débusqué la complicité que le libéralisme libertaire occidental entretient avec l’idéologie totalitaire, ce qui lui valut un accueil mitigé lors de son exil en Occident malgré son prix Nobel de littérature (1974). Son retentissant discours de Harvard (juin 1978), « L’Occident et le déclin du courage », où il stigmatisait « la couche dirigeante » et « la couche intellectuelle dominante » de la société, acheva de cabrer ceux qui se sentaient visés. En réalité, c’était l’ensemble de la société occidentale que Soljenitsyne passait au scalpel en dénonçant son « épuisement spirituel ». Il observait, dans ce même discours, que « le désir permanent de posséder toujours plus et d’avoir une vie meilleure ont imprimé sur les visages de l’Ouest les marques de l’inquiétude et même de la dépression… » A ses yeux, l’autre matérialisme dont il découvrait les œuvres en Europe et aux Etats-Unis, précipitait individus et nations dans la géhenne, plus insidieusement et donc encore plus efficacement que le communisme. En tournant le dos à son histoire et à sa culture, en se coupant de ses racines, une nation tout entière pouvait perdre son âme : « On peut perdre sa souveraineté en conservant son identité. Mais si on perd les deux, on est mort » (propos rapportés par Philippe de Villiers).
Pour ce chrétien visionnaire, au-delà de l’affrontement d’idéologies et de systèmes antagonistes (bolchevisme/nazisme puis communisme/libéralisme – et aujourd’hui islamisme/libéralisme), se joue le grand combat apocalyptique dont l’enjeu est la survie de l’humanité et le sort final de chacun. «Peu à peu j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité.» (L'Archipel du Goulag). C’est son cœur que chacun doit changer pour se libérer de ses peurs et de ses idoles, et retrouver le goût de vivre en société et de s’y engager au lieu de la « déconstruire ». Les mises en garde du vieux prophète contre la décadence générale dans laquelle nous entraine l’individualisme libéral est une clé pour comprendre notre époque et la crise actuelle. Soljenitsyne n’a donc pas fini de nous interpeller.
Famille Chrétienne a célébré le centenaire de Soljenitsyne cette semaine (n°2132 du 24 au 30 novembre) en consacrant un dossier à « la postérité d'un géant ».
Mais Soljenitsyne ne s’est pas contenté de rapporter des faits et de convoquer victimes et bourreaux (dominés par le trio infernal : Lénine, Trotski, Staline) devant le tribunal de l’Histoire. Il a mobilisé toute son énergie et son immense puissance intellectuelle pour comprendre les ressorts de « La Roue rouge » (1993) qui happa des dizaines de millions de personnes, hommes, femmes, enfants en Russie, avant d’exporter ses ravages sur d’autres continents. Si son combat titanesque contre le régime soviétique appartient à l’Histoire, le totalitarisme communiste asservit encore près du quart de l’humanité.
Soljenitsyne n’a pas estimé que la chute du communisme en Russie mettait un terme à sa mission. Il a débusqué la complicité que le libéralisme libertaire occidental entretient avec l’idéologie totalitaire, ce qui lui valut un accueil mitigé lors de son exil en Occident malgré son prix Nobel de littérature (1974). Son retentissant discours de Harvard (juin 1978), « L’Occident et le déclin du courage », où il stigmatisait « la couche dirigeante » et « la couche intellectuelle dominante » de la société, acheva de cabrer ceux qui se sentaient visés. En réalité, c’était l’ensemble de la société occidentale que Soljenitsyne passait au scalpel en dénonçant son « épuisement spirituel ». Il observait, dans ce même discours, que « le désir permanent de posséder toujours plus et d’avoir une vie meilleure ont imprimé sur les visages de l’Ouest les marques de l’inquiétude et même de la dépression… » A ses yeux, l’autre matérialisme dont il découvrait les œuvres en Europe et aux Etats-Unis, précipitait individus et nations dans la géhenne, plus insidieusement et donc encore plus efficacement que le communisme. En tournant le dos à son histoire et à sa culture, en se coupant de ses racines, une nation tout entière pouvait perdre son âme : « On peut perdre sa souveraineté en conservant son identité. Mais si on perd les deux, on est mort » (propos rapportés par Philippe de Villiers).
Pour ce chrétien visionnaire, au-delà de l’affrontement d’idéologies et de systèmes antagonistes (bolchevisme/nazisme puis communisme/libéralisme – et aujourd’hui islamisme/libéralisme), se joue le grand combat apocalyptique dont l’enjeu est la survie de l’humanité et le sort final de chacun. «Peu à peu j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité.» (L'Archipel du Goulag). C’est son cœur que chacun doit changer pour se libérer de ses peurs et de ses idoles, et retrouver le goût de vivre en société et de s’y engager au lieu de la « déconstruire ». Les mises en garde du vieux prophète contre la décadence générale dans laquelle nous entraine l’individualisme libéral est une clé pour comprendre notre époque et la crise actuelle. Soljenitsyne n’a donc pas fini de nous interpeller.
Famille Chrétienne a célébré le centenaire de Soljenitsyne cette semaine (n°2132 du 24 au 30 novembre) en consacrant un dossier à « la postérité d'un géant ».