Sciences

Le camembert menacé de disparition

Par Judikael Hirel - Publié le 12/07/2024 - Visuel d'illustration : Pixabay.
Fromage ou dessert ? Le camembert et autres produits phares de nos assiettes pourraient peu à peu disparaître ou changer radicalement d'aspect et de goût. En cause, la standardisation des moisissures sélectionnées pour leur fermentation.

C'est l'équivalent d'un drame national : demain, deux trésors nationaux, le camembert et le roquefort, pourraient bien disparaître de nos plateaux de fromage. « Les coupables ne sont autres que les standards de l'industrie agro-alimentaire qui, dans leur quête d'efficacité et d'uniformité, menacent l'existence même des micro-organismes qui donnent à ces fromages leur caractère si particulier », explique-t-on dans le podcast La Terre au carré.

« Le camembert, la croûte blanche et cotonneuse, c'est une moisissure, la penicillium camemberti. Le fait qu'il soit blanc est très récent, [soit des] années 1950 », explique Tatiana Giraud, directrice de recherche CNRS. Elle est responsable de l'équipe Génétique et écologie évolutives à l'université Paris-Saclay et auteure de L'attention au vivant : abeilles, vers de terre, champignons. S'ils disparaissent, nous disparaissons. Elle explique : « Avant, les camemberts étaient bleu gris. Les chercheurs ont sélectionné une moisissure albinos. Ils ont trouvé qu'un mutant blanc était très attractif, et cela s'est vite répandu. Avant, il y avait une grande variété génétique, avec une grande diversité de souches différentes. À partir du moment où l'on sélectionne un seul mutant, on n'utilise plus que cette seule lignée dans tous les bries et camemberts. Il y très peu de variabilité par rapport à ce qui existait avant. »

Là est le drame, comme le souligne également le journal du CNRS : la domestication des moisissures servant à la fermentation de ces fromages a conduit à leur lente dégénérescence. Il en est de même pour le roquefort d'ailleurs. Les souches de moisissures ont été sélectionnées selon un cahier des charges précis pour obtenir les meilleurs résultats. Au menu, des fromages qui doivent « être attrayants, avoir bon goût, ne pas arborer de couleurs déroutantes, ne pas produire de mycotoxines, ces toxines sécrétées par les champignons, et surtout pousser rapidement sur le fromage qu'ils se doivent de coloniser ». Cependant, à force de les choisir, c'est en quelque sorte la biodiversité des moisissures qui s'en trouve peu à peu appauvrie. Pourquoi ne pas y avoir prêté davantage d'attention ou en avoir plus pris soin ? Tout simplement par ignorance. Qui aurait pensé, quand la souche mutante blanche de la Penicillium camemberti a été sélectionnée en 1902, qu'elle finirait par éradiquer les camemberts verts, oranges ou bleu-gris de jadis ?

Aujourd'hui, on assiste à un revirement de situation car cette souche est en train de mourir du fait de sa standardisation. Et si la science sauvait ce que la science a causé ? En effet, pour sauver le roquefort, les chercheurs du CNRS ont découvert une nouvelle souche de Penicillium roqueforti, dans le bleu de Termignon. Elle pourrait contribuer à renouveler génétiquement les souches historiques en danger. « Ses moisissures bleu-vert caractéristiques proviennent d'une population jusqu'alors inconnue de Penicillium roqueforti, le champignon impliqué dans la fermentation de tous les fromages bleus et persillés. Cette découverte est une petite bombe dans le monde du fromage. »

Et pour le camembert ? Il va en revanche falloir trouver une souche sauvage de Penicillium camemberti afin de renouveler la biodiversité des moisissures blanches du camembert. « Année après année, génération après génération, la souche albinos de P. camemberti a perdu sa capacité à produire des spores asexuées, alors qu'elle était déjà dépourvue de reproduction sexuée. Conséquence, il est aujourd'hui très compliqué pour tous les industriels du secteur d'obtenir des spores de P. camemberti en quantité suffisante pour inoculer leur production du fromage normand. » Faut-il craindre de voir bientôt nos fromages préférés disparaître des plateaux ? « Cette menace n'est pas à court terme, mais nous voulons alerter sur les dangers d'une trop grande uniformisation en général des espèces, même s'il n'y a pas de danger dans les mois qui viennent », explique la chercheuse Tatiana Giraud. Heureusement, l'espèce proche génétiquement de P. camemberti, la Penicillium biforme, naturellement présente dans le lait cru, montre une diversité génétique et phénotypique incroyable. Reste encore à l'inoculer à nos camemberts et nos bries. Ce qui nécessitera d'accepter de voir ce fromage changer de couleur, de texture, voire de goût...

La sélection
Alerte camembert : fromage en voie de disparition
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