Birmanie : la plus vieille guerre civile du monde
La veille de Noël 2021, l'armée birmane arrête à un checkpoint un convoi de 35 villageois fuyant une zone de guerre. Ceux qui ne sont pas abattus sur le champ, femmes, enfants, sont ligotés. Brûlés vifs. Enlisée dans une guerre interminable, l'armée a décidé de terroriser les civiles afin de les dissuader de soutenir la rébellion. La rébellion ? Une armée qui n'a rien d'une guérilla. L'armée Karen de libération nationale compte 5000 hommes et des forces spéciales. Créée en 1957, elle lutte pour la création d'un État karenni autonome pouvant vivre librement sa religion au sein d'une Birmanie authentiquement fédérale.
Officiellement, la Birmanie compte 135 ethnies. Les Bamars, ethnie majoritaire, contrôlent les plaines centrales, tandis que les autres groupes, représentant environ 40 % de la population, occupent les régions montagneuses et frontalières, riches en ressources naturelles. Les plus importantes sont les Shan, les Karen, les Karennis, dont l'Etat longe la frontière thaïlandaise, les Mon, les Kachin, les Chin et les Arkanais. Bien qu'elles disposent de leurs propres États dans un pays censément fédéral, toutes sont en conflit avec le pouvoir central.
L'héritage de l'Empire britannique est une des causes principales de ces guerres. L'Empire, appliquant la politique du “diviser pour mieux régner”, a séparé la Birmanie en deux zones (“Burma Proper et Frontier Areas) et semé la discorde. Les Karrenis chrétiens avaient décidé de se lier aux britanniques pour s'émanciper de la domination birmane. La majorité birmane, elle, était marginalisée. Mais lors de l'indépendance de 1947, le Royaume-Uni abandonne les Karennis qui sont intégrés de force à l'Union de Birmanie en criant à la trahison.
La guerre aurait pu être évitée si la Constitution de 1947, qui prévoyait l'égalité entre les ethnies et l'autonomie des régions frontalières, avait été respectée. Mais les tensions politiques sont alors telles que le général Aung San, héros de l'indépendance et artisan de l'unité nationale, est assassiné en juillet 1947. Son décès ouvre la voie à des régimes successifs qui optent pour une politique d'assimilation forcée, précipitant l'explosion des conflits. Pour les Karennis, renoncer à leur autonomie et à leur identité propre est inenvisageable.
En 1962, un coup d'État militaire met au pouvoir Ne Win (qui restera jusqu'en 1998). Il lance la stratégie contre-insurrectionnel du “Four Cuts” visant à priver les groupes armées de nourriture, de fonds, de ressources humaines et de l'accès à l'information. Incendies de villages, tortures, viols. La population trouve refuge à la frontière thaïlandaise. En 1984, l'armée lance sa plus vaste offensive pour déloger les ethnies qui contrôlent encore leur territoire traditionnel le long de cette frontière birmano-thaïe et transfère, dans des conditions dramatiques, les populations capturées à l'intérieur de la Birmanie. Celles-ci sont soumises au travail forcé dans des zones militarisées. Elles servent également de bouclier humain lors des combats. On évalue à 50 000 les déplacés de l'intérieur. C'est l'époque où apparaissent les camps de réfugiés en Thaïlande. Bangkok fait son possible pour éviter une propagation du conflit.
L'armée birmane utilise également la stratégie du “cessez-le-feu” pour diviser les Karennis, proposant régulièrement des trêves accompagnées d'aides financières. Compensation contre soumission. Mais la détermination karenni reste inébranlable. Bien que la religion ne soit pas au cœur du conflit, elle est instrumentalisée par le régime, qui promeut le bouddhisme comme religion d'État. Enfin, les zones des minorités sont riches en pierres précieuses, bois, pétrole ou opium. Les terres saisies ont engendré des revenus considérables pour la junte. Surexploitées et rendues infertiles, leur état laisse peu d'espoir pour le retour d'un peuple essentiellement agricole.
Et maintenant ? La moitié des Karrenis vivent cachés dans les montagnes pour échapper aux bombardements. Les villages sont truffés de mines. Mais pour la première fois, l'armée birmane est sérieusement en difficulté. Elle a perdu les frontières et d'immenses revenus. Les rebelles contrôlent la capitale locale karen Loikaw. Ils peuvent désormais compter sur le soutien d'une bonne partie de la jeunesse birmane. Révoltées contre la répression sanglante lors des manifestations pacifiques contre le coup d'État de 2021, elle a pris fait et cause pour le combat des minorités, allant pour certains jusqu'à l'engagement armé. En France, cette cause commence à attirer l'attention grâce à l'association “Village Karenni” qui vient en aide aux populations. Un film sur le sujet est en cours de production.